Me Isabelle Steyer trouve des similitudes entre l'affaire du producteur américain Harvey Weinstein et un dossier qui a éclaboussé le cinéma français dans les années 1990.

Par Jean-Michel Décugis pour le Parisien — le 18/10/17

En 1997, une affaire de proxénétisme et de viols secouait le cinéma français. Un dossier qui rappelle l'affaire Harvey Weinstein, ce puissant producteur américain éclaboussé par un scandale sexuel. Le dossier mettait notamment en cause, pour viol et agressions sexuelles, plusieurs personnalités dont un producteur de cinéma célèbre, un industriel, un entraîneur international de tennis… Tous ont finalement été blanchis par la justice. A l'époque, un célèbre acteur américain de passage en France avait même été interrogé comme témoin.

Nous avons retrouvé une avocate, partie civile, à l'époque. Me Isabelle Steyer évoque l'omerta qui régnait alors dans le cinéma français ainsi que les pressions qui ont été exercées notamment sur le juge d'instruction Frédéric N'Guyen.

Expliquez-nous cette affaire, et pourquoi y voyez-vous des points communs avec l'affaire Weinstein ?*
Me Isabelle Steyer. 
Quand j'entends aujourd'hui le cinéma français crier au scandale et jouer les vierges effarouchées, cela me fait doucement sourire. Il y a vingt ans, un photographe de charme, Jean-Pierre Bourgeois, et sa complice, une Suédoise, ont été accusés d'avoir prostitué des dizaines de jeunes filles. Des étudiantes, des mannequins en herbe, des apprentis comédiennes qu'ils repéraient dans la rue ou les agences de casting. L'homme photographiait les jeunes femmes nues et parfois abusait d'elles en leurs faisait miroiter des publicités pour une grande marque de cosmétique ou un petit rôle dans les films d'un grand producteur. Les clichés étaient proposés à de riches clients et des rencontres étaient organisées à Paris ou sur la Côte d'Azur. Au total, 89 femmes ont témoigné, parmi elles il y avait des callgirls, une actrice de X mais aussi des jeunes apprenties comédiennes parfois mineures.

Vous défendiez l'une d'entre elles ?
Je défendais une jeune et jolie Suédoise de 16 ans, Julia, issue d'un milieu très modeste qui avait été recrutée en Suède par le couple auprès de ses parents pour faire des castings et devenir mannequin. Elle a finalement été violée sur un yacht au large de Saint-Tropez pendant le Festival de Cannes par un ex-ambassadeur de quarante ans plus âgé qu'elle. D'autres jeunes femmes étaient également présentes sur ce bateau et ont subi le même sort. Elles étaient recrutées sur la plage ou dans les rues puis étaient invitées à de faux castings dans des palaces, ou à des soirées sur des yachts et dans de superbes villas. Il semble que certaines ont pu être droguées. Tout le monde savait que cela existait, du producteur aux acteurs, jusqu'aux concierges des hôtels. Dans ces palaces, il y avait un nom de code : « Un oreiller complet », cela voulait dire une chambre avec une fille. Le parquet de Paris a délibérément saucissonné le dossier, empêchant une vision globale. Il avançait que ces jeunes filles étaient des prostituées pour refuser au juge N'Guyen des réquisitoires supplétifs. Mais dans le cas de ma cliente, ce n'était pas possible. Elle était mineure, et ses parents avaient signé un contrat photo.

Y a-t-il eu des pressions ?
Beaucoup de pressions et aussi beaucoup d'omerta. Cette affaire touchait le monde politique et de l'industrie, le show-business… Des gens de pouvoir, riches et puissants. A l'époque, beaucoup ont constaté que l'enquête et le juge s'étaient retrouvés en danger le jour où un très important producteur de cinéma a été mis en examen et écroué. Le juge lui reprochait d'avoir tenté de violer une actrice célèbre de X, rencontrée chez le photographe et une jeune Marocaine, également présentée par Jean-Pierre Bourgeois. Le producteur contestait les faits et affirmait avoir eu seulement des relations tarifées. Trois jours après son incarcération, il était libéré par la chambre d'accusation saisie par un référé- liberté. Une décision exceptionnelle, qui a signé la mort de ce volet du dossier. Des pétitions ont circulé notamment dans le monde du cinéma. Certaines stars ont témoigné dans le dossier comme témoins de moralité. Je note qu'aujourd'hui des stars dénoncent plus facilement les turpitudes de Weinstein…

Comment s'est achevée la procédure ?
Dans le dossier de proxénétisme qui a été jugé, le parquet n'a jamais effectué de réquisitoire. C'est la seule fois où j'ai assisté à cela dans toute ma carrière. Le juge qui ne voyait jamais rien arriver a fini par prendre son ordonnance de renvoi. Le photographe a été finalement condamné à cinq ans pour proxénétisme. Mais dans l'autre volet, le juge a été dessaisi de l'affaire. Un non-lieu général a finalement été rendu par un autre juge qui avait été cosaisi par le parquet.