Comment, face à une cour d’assises, peut-on caractériser les situations où les victimes sont conditionnées dans un état de contrainte psychologique?
Article de Camélia Echchihab pour Slate.fr avec Isabelle Steyer.
Treize ans de réclusion criminelle. La sentence est tombée samedi 15 décembre, au terme d’une interminable semaine de procès aux assises de Pontoise où deux jeunes femmes, Ludivine et Cynthia* ont fait face à celui qui les a violées alors qu’elles n’étaient que des jeunes filles. Celui qui a été, pendant des années, leur entraîneur de roller artistique au pôle France d’Eaubonne, leur «dieu», leur «maître», selon leurs propres mots: Arnaud Mercier, déjà placé en détention provisoire depuis plus de trois ans.
L’homme a fait plus que deux victimes. Plusieurs autres patineuses sont venues raconter face à la cour le traumatisme que leur ancien entraîneur leur a infligé alors qu’elles étaient enfants. Ensemble, elles l’ont poussé à avouer: au bout de trois jours d’audience, et même s’il continuera à nier les viols, l’entraîneur a fini par reconnaître les faits d’agressions sexuelles sur mineures de moins de 15 ans. «On a eu l’impression qu’on allait être débordés de victimes. Qu’une chape de plomb se levait», a déclaré Karim Mameri, l’avocat général, lors de son réquisitoire. Il a demandé la sanction la plus lourde: vingt ans de prison.
«Il m’avait briefée sur tout ce que je devais dire à la police. J’ai été naïve de le croire, alors que je savais ce qu’il faisait avec moi»
Cynthia est la première à avoir brisé l’omerta en portant plainte contre son entraîneur. Pendant sept ans, elle tient bon face à celles et ceux qui la traitent de menteuse, de jalouse. Car à l’époque de ses dénonciations, en 2011, elle est quasiment seule. Arnaud Mercier est suspendu de ses fonctions d’entraîneur auprès de mineurs de façon définitive, mais il n’est pas mis en examen. Jusqu’à ce qu’une seconde voix s’élève, celle de Ludivine. En 2015, elle révèle le calvaire qu’elle a vécu pendant toute son adolescence.
À la différence de Cynthia, Ludivine était hébergée au domicile d'Arnaud Mercier de ses 12 à 17 ans car sa famille, qui habite en Bretagne, ne souhaitait pas la mettre en internat. Cela a permis à l’entraîneur de mettre en place un conditionnement particulièrement pervers, «une prison de l’esprit», analysera l’avocat général. Sous son emprise, elle l’a dans un premier temps défendu face aux accusations de Cynthia et l’a suivi en Belgique quand il a été suspendu. «Il m’avait briefée sur tout ce que je devais dire à la police. J’ai été naïve de le croire, alors que je savais ce qu’il faisait avec moi», regrette aujourd’hui Ludivine à la barre. Elle raconte que pendant cinq ans, Arnaud Mercier a fait de sa vie un véritable enfer: viols, relations forcées avec d’autres hommes, humiliations quotidiennes et violences physiques pendant les entraînements. Et qu’elle n’a pu se défaire de son conditionnement que lorsque sa famille est venue l’arracher des mains de celui qui ne l’entraînera plus jamais.
«Cet homme a appris à Ludivine à être victime de viol»
Les faits de viols sur Ludivine ont été reconnus par la justice avant ses 15 ans. Mais passés l’âge de la majorité sexuelle, ils ont été requalifiés en «atteinte sexuelle». Gaëlle Colin, vice-procureure chargée du secrétariat général du parquet de Pontoise, précise: «L'accusé a été acquitté pour les faits de viol commis par personne abusant de l'autorité conférée par ses fonctions, c'est-à-dire ceux commis sur Ludivine après ses 15 ans. Mais la cour l'a condamné, sur question subsidiaire, pour cette même période, sur la base des infractions de corruption de mineur de plus de 15 ans et d'atteinte sexuelle sur mineur de plus de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime».
Si Arnaud Mercier a reconnu les attouchements sur Ludivine entre ses 12 et 15 ans, il prétend qu’ils seraient ensuite réciproquement tombés amoureux et auraient eu des relations sexuelles consenties, avec à l’appui, ce que sa défense a présenté comme des «lettres et des textos d’amour». «La relation qui existait entre eux n’avait rien à voir avec de l’amour, plaide en retour Isabelle Steyer, l’avocate de Ludivine. Grâce à lui, elle a été championne d’Europe. Il l’a hissée très haut, sportivement parlant. Mais il a utilisé la confusion des sentiments. Ce n’était pas une relation amoureuse consentie, à égalité, sans domination. C’était un abus d’autorité. Monsieur Mercier a utilisé ce que la loi lui donnait comme pouvoir d’éducateur pour le dévoyer, le pervertir. Les mineurs ne connaissent pas les limites de la loi, le possible et l’impossible, le moral et l’immoral. Cet homme a appris à Ludivine à être victime de viol. Il a utilisé la naïveté de l’enfant pour lui laisser penser que ce qu’il faisait était non seulement normal, mais en plus, gratifiant.»
Quand l’agresseur fait en sorte de supprimer le libre arbitre de sa proie, de manière à ce qu’elle adhère à son système de fonctionnement, comment la justice peut-elle faire émerger la vérité?
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