4 août 2023

Pourquoi les risques de féminicides sont-ils plus élevés en été ?

Article de Sabrine Minmouni, photos: ©Stéphane Duprat/SIPA

L’été est une période durant laquelle plusieurs associations féministes constatent une hausse des féminicides et des violences conjugales. Plusieurs pistes sont avancées pour expliquer ce phénomène.

Depuis le début de l’année, elles sont déjà 63 à avoir été tuées par un compagnon ou un ex, selon le décompte du « Collectif Féminicides par compagnon ou ex ». Les corps inanimés de trois d’entre elles ont été retrouvés en moins de 24 heures, entre le jeudi 20 et le vendredi 21 juillet. Une macabre série de féminicides qui rappelle la grande vulnérabilité des victimes de violences conjugales pendant les congés d’été. Pour expliquer ce phénomène, les associations mentionnent l’hypothèse de l’effet « huis clos », qui serait provoqué par plusieurs facteurs.

L’ÉTÉ, PÉRIODE DE RENOUVEAU

Pour plusieurs femmes victimes de violences conjugales, l’été peut être une période propice au départ. « On voit une nette augmentation des féminicides conjugaux durant cette période de l’année. L’été est synonyme d’émancipation et de renouveau, de nombreuses femmes essayent de rompre à ce moment-là. C’est une supposition qui est également décrite par les associations qui reçoivent du public. On blâme souvent les victimes de violences de ne pas partir, mais, parfois, partir signifie mourir », affirme Maëlle Noir, membre de la coordination nationale de #NousToutes. Depuis le début de l’année, et au 2 août 2023, l’ association féministe décomptait 75 féminicides. Environ douze de plus que le « Collectif Féminicides par compagnon ou ex ». « C’est parce que nous comptabilisons tout aussi bien les féminicides conjugaux, que les matricides et les infanticides sur petites filles », explique la militante de #NousToutes.

« Le crime d’emprise » qu’est le féminicide conjugal intervient généralement au moment où la victime de violences tente d’échapper à son agresseur. « Lorsque la femme décide de quitter son conjoint, le mécanisme d’emprise a vocation à être rompu. L’homme violent va donc utiliser le meurtre comme ultime moyen de contrôle sur sa partenaire », analyse Maëlle Noir. Selon le « Collectif Féminicide par conjoint ou ex », la hausse du nombre de féminicides n’est pas particulièrement caractéristique de l’été. « De notre côté, on estime qu’il n’y a pas de nette augmentation sur les mois de juillet/août, mais sur les fêtes de fin d’année et les vacances de façon générale », affirme une militante du collectif qui souhaite rester anonyme. « Quel que soit le moment de l’année, le dénominateur commun des féminicides, c’est la séparation », martèle-t-elle.

« HORS TISSU SOCIAL »

« Je reçois beaucoup d’appels en été, aussi bien pour des situations déjà signalées que pour de nouveaux cas », affirme maître Isabelle Steyer, avocate spécialisée en violences conjugales et intrafamiliales. Selon elle, toutes les formes de violences sont exacerbées durant les vacances d’été. « Les femmes voient généralement moins de monde et sont moins ouvertes sur leurs autres relations sociales durant cette période. Le cérémonial du quotidien hors congés est rompu. Elles ne vont pas chercher les enfants à l’école et ne vont pas travailler. Elles sont malgré elles en tête à tête avec leur agresseur », analyse l’avocate. Les victimes de violences conjugales sont plus que jamais « hors tissu social » durant les vacances, alerte-t-elle.

Le potentiel changement d’environnement participe également à l’accroissement des violences, d’après l’avocate. « Lorsqu’un homme violent constate un changement dans ses repères, il peut devenir encore plus violent en usant de la violence pour davantage maîtriser sa femme et ses enfants », indique-t-elle. Les familles se retrouvent souvent entre elles, parfois dans un « huis clos étranger ». L’isolement de la victime sera par conséquent accentué et l’agresseur aura encore plus de temps pour sévir.

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PÉRIODE DE CREUX JUDICIAIRE ET ASSOCIATIF

Prises dans le huis clos des congés, les femmes peuvent se sentir encore plus seules et vulnérables car la vie associative tourne au ralenti durant l’été. « Les associations, surtout celles qui accompagnent et reçoivent du public, fonctionnent en sous-effectif. Les victimes ont par conséquent moins d’aide à disposition », confie Maëlle Noir. « Les pouvoirs publics sont d’ailleurs les responsables directs de ce manque d’effectif, car ces associations sont sous-financées », ajoute la militante.

Les « vacances judiciaires, l’absence des avocats et des procureurs » participent également à amplifier ce sentiment de huis clos, selon Maëlle Noir. Elle indique également que, « le corps judiciaire est beaucoup moins disponible pour répondre aux demandes urgentes des victimes ». Ces dernières se retrouvent finalement seules face à leur agresseur, d’autant plus que les voisins susceptibles d’ intervenir en cas de violences audibles peuvent eux aussi être en congés et absents de leur domicile.

« LE PACK NOUVEAU DÉPART EST BIEN BEAU, MAIS C’EST LE DÉPART QUI CAUSE LE MEURTRE »

Face à la hausse des cas de féminicides, l’association #NousToutes réclame une remise en cause de la manière de traiter les femmes qui viennent chercher de l’aide auprès des commissariats, ainsi qu’un gros travail de prévention dans les écoles.

Du côté du gouvernement, Isabelle Rome, ex-ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a lancé un pack « nouveau départ » pour aider les victimes de violences conjugales à partir. Une femme victime de violences pourra se rendre auprès « d’une association, un commissariat ou même le maire de la commune » pour alerter sur sa situation. Ce signalement « déclenchera toutes les aides financières dont elle aura besoin pour prendre son envol ».

Ce dispositif généralisé « d’ici à la fin 2025 », est loin d’être suffisant, selon plusieurs associations féministes. « Le pack nouveau départ est bien beau, mais c’est le départ qui cause le meurtre », rappelle la militante du « Collectif Féminicide par conjoint ou ex ». Une double intervention est nécessaire, car il faut non seulement aider la victime à partir, mais aussi la protéger durant le processus de séparation. « Mais en France, on n’a pas une justice qui protège suffisamment les femmes », regrette la militante.

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