Par Geoffroy Tomasovitch pour le Parisien.fr
Le meurtrier avait payé trois hommes pour enlever son ex : reconstitution d’un féminicide hors normes.
Nathalie Debaillie, 47 ans, avait été kidnappée en mai 2019 à Lille (Nord) puis égorgée par son ex-conjoint, Jérôme Tonneau, à La Madeleine. Un meurtre en bande organisée reconstitué mardi 11 et vendredi 14 janvier.
À la femme qui remarque son costume et lui demande s’il va à un mariage, Jérôme Tonneau répond : « Non, je vais à un enterrement. » Comme un aveu par anticipation. Une demi-heure plus tard, ce lundi 27 mai 2019 à Lille (Nord), ce patron de pressings kidnappe son ex-compagne, Nathalie Debaillie, avec l’aide de trois hommes. La cadre de banque de 47 ans sera retrouvée égorgée, du ruban adhésif autour de la tête et la bouche, dans la baignoire au domicile du meurtrier à La Madeleine. Jérôme Tonneau n’acceptait pas qu’elle ait rompu, mais ni la plainte, ni les trois mains courantes déposées - dont la dernière le 22 mai - par Nathalie, qui se savait clairement menacée et surveillée, n’ont suffi à la sauver. La reconstitution de ce féminicide « hors normes », comme le souligne Me Isabelle Steyer, avocate du père, du frère et des deux enfants de la victime, se déroulera cette semaine en deux temps. Mardi, le rapt, vendredi, la mise à mort. Ce mardi, les quatre suspects se retrouveront sous haute surveillance dans le parking souterrain où ils ont piégé Nathalie à son arrivée au travail. Si Jérôme Tonneau a avoué l’avoir tuée seul avec un cutter, son ami Emanuel D., surnommé Manu, 29 ans, et ses deux cousins de 31 et 36 ans, qui vivaient tous dans le camp de Roms de l’Escargot, à Lille, sont également mis en examen pour « meurtre en bande organisée » et écroués depuis juin 2019.
Les assassins payés 900 euros avec la carte bleue de la victime
« L’auteur de ce féminicide a entraîné dans cette histoire trois coauteurs, rémunérés 900 euros avec la carte bleue de Nathalie après sa mort atroce. Un assassinat, car le plan, extrêmement bien préparé, démontre la préméditation », estime Me Steyer. Le scénario criminel semble avoir été élaboré avec minutie, comme en attestent des images de vidéosurveillance et de nombreux actes préparatoires (achats de matériels, déplacements des véhicules…). Entendu par le juge le 18 mai dernier, Jérôme Tonneau a même révélé qu’il y avait eu trois tentatives d’enlèvement - toutes ayant échoué - avant les faits du 27 mai.
Le matin du rapt, Manu fait le guet devant le parking. Un collègue de Nathalie entre alors à moto. Il l’entend crier mais ne peut pas intervenir, cible de deux tirs de balles en plastique. Les ravisseurs prennent la fuite dans deux véhicules, dont une fourgonnette où l’otage a été neutralisée avec un pistolet à impulsions électriques. À La Madeleine, ils stationnent grâce aux conteneurs prédisposés et transportent la victime inerte, recouverte d’un drap et les chevilles entravées, jusque dans un appartement.
Aux enquêteurs, Manu a affirmé qu’il avait aidé Jérôme Tonneau à enlever son ex pour la simple raison que ce dernier voulait lui parler d’une somme d’argent qu’elle lui devait pour des travaux dans sa maison. Selon la cour d’appel de Douai, qui a rejeté en avril 2020 l’annulation de sa mise en examen pour meurtre en bande organisée, le jeune homme avait parfaitement conscience du danger encouru par Nathalie Debaillie et des intentions véritables de Jérôme Tonneau. Un chef d’entreprise dont Emanuel D. connaissait la violence potentielle, capable de commettre des escroqueries aux assurances sur sa BMW X5 ou même en incendiant son propre pressing pour toucher l’indemnisation.
« Si je savais ce qu’il voulait faire, je n’aurais pas accepté d’aller avec lui (…) Je regrette vraiment, je préférerais être mort à sa place (NDLR : la victime) », a soutenu Emanuel D. le 1er juin. Du reste, Jérôme Tonneau a indiqué que le jeune Rom, comme ses cousins, ignorait qu’il allait tuer son ex. Lors de son audition du 18 mai, il a précisé ses relations avec Manu, qu’il a connu selon ses souvenirs dans les années 2010-2011 quand ce dernier faisait la manche devant l’une de ses blanchisseries. Il lui a donné du travail, l’a logé. Le mendiant est devenu un bon ami. Qu’il charge désormais. « Il savait tout et depuis le début », a assené Jérôme Tonneau interrogé par le juge le 7 juin dernier. Le patron de pressings a même précisé qu’il lui avait parlé « malheureusement » de l’acte extrême, et ce depuis la première tentative de rapt le 13 mai. Emanuel D., dont la demande de remise en liberté a été rejetée en juillet dernier, continue de nier qu’il était au courant de l’issue sanglante et qu’il a volontairement laissé passer le motard le jour du kidnapping.
Ce mardi, plusieurs proches de Nathalie Debaillie, qui auraient souhaité assister à la reconstitution, seront présents à Lille au plus près du périmètre bouclé par la police. « Ils suivent tout de cette enquête, sachant, en plus, que Nathalie n’a pas bénéficié de protection malgré ses alertes. Un raté, à nos yeux, qui alourdit encore ce féminicide hors normes », insiste Me Isabelle Steyer. Sur ce point, une enquête administrative sur le rôle des policiers suit son cours.